Au XVIe siècle, la Réforme entraîne la mise en place d’une justice ecclésiastique visant à faire respecter la nouvelle orthodoxie religieuse ainsi qu’à contrôler les comportements en matière de mœurs. Établis dans chaque paroisse protestante et organisés différemment selon l’équilibre des forces politiques en présence et propre à chaque canton, les consistoires ont durant tout l’Ancien Régime encadré la vie religieuse, mais aussi quotidienne des hommes et des femmes. Respect des jours chômés, fréquentation des cultes, conflits de voisinage, usage de la magie, ivrognerie, sexualité illicite, divorces ou fiançailles rompues sont autant d’affaires traitées par ces tribunaux dont la composition — à la fois laïque et religieuse — et la visée plus intégrative que résolument excluante sont caractéristiques de la gestion des communautés dans les régions réformées. Ces institutions ont en outre la particularité d’avoir engendré une importante documentation qui a généralement été bien conservée. Ce sont les registres produits par ces cours, et plus précisément leur inventaire effectué dans les archives de toute la Suisse romande, qui ont occupé les auteurs de cette étude. Le terme d’inventaire constitue au demeurant un sous-titre certainement trop humble, tant l’ouvrage proposé par Christian Grosse et son équipe se révèle être un outil bien plus complet. C’est en effet une formidable recherche qui a été réalisée et qui est généreusement mise à disposition, celle, préalable à toute analyse historique, de la découverte de sources. On oublie souvent de le souligner, mais pour l’historienne et l’historien, comme pour toute personne qui cherche à mener une étude, la difficulté n’est pas toujours en premier lieu de savoir où se trouve un document, mais bien d’en connaître l’existence. Comme le rappellent les auteurs, ce sont jusqu’ici principalement Genève et les villes plus importantes qui ont bénéficié de travaux historiques sur les consistoires, au détriment d’autres cantons romands et des plus petites localités, pour lesquels les inventaires sont parfois moins accessibles. Les auteurs n’ont ainsi pas restreint l’enquête aux archives cantonales ou d’État, mais l’ont poursuivie minutieusement dans les communes et paroisses, révélant des centaines de registres dans lesquels étaient consignés les protocoles des procès. Le catalogue ne s’en tient par ailleurs pas aux comptes rendus des procédures, mais intègre également les « brouillards », ces notes prises par les secrétaires avant la rédaction définitive du procès-verbal.
Il s’agit là d’une autre des qualités du volume, celle de s’être intéressé aux différentes étapes de la production et de la conservation de la source. La première partie est ainsi consacrée à une étude remarquable du contexte dans lequel cette documentation a été produite. Depuis le rôle des notaires, qui ont souvent œuvré comme secrétaires des consistoires, en passant par la question de la transposition, non sans conséquence, des notes à la rédaction finale, le volume est aussi un outil indispensable pour toute personne souhaitant étudier ces sources en mesurant leur potentiel, mais aussi leurs limites. L’introduction rappelle qu’un certain nombre de modalités d’enregistrement et de conservation des registres s’explique par les vocations spécifiques dont ils étaient investis. Dans le Pays de Vaud, les procès-verbaux étaient à ce titre aussi envisagés comme un moyen de contrôle des consistoires locaux par les instances supérieures bernoises, et à Genève, les index alphabétiques devaient, selon Jean Calvin, servir d’instrument de stigmatisation publique des personnes appelées à comparaître. De manière générale, l’état de conservation et la continuité archivistique de cette documentation résultent aussi de la volonté de constituer une « mémoire institutionnelle » dont l’objectif était à la fois la recherche des antécédents dans une même affaire, de permettre de statuer dans d’autres cas similaires, mais aussi, d’un point de vue théologique, de rendre compte à Dieu lui-même, destinataire ultime de toute la procédure.
L’inventaire, qui constitue le corps du volume, est ensuite organisé par région : Vaud, Neuchâtel, Genève, Jura bernois puis Morat dans le canton de Fribourg. Il s’agit de la seule commune protestante du canton ayant laissé des registres du consistoire sur lequel, comme le soulignent les auteurs, aucune étude n’a été effectuée à ce jour. Les sections s’ouvrent chacune par une introduction sur le contexte politique, religieux et institutionnel dans lequel les tribunaux étaient présents, sur la manière dont ils étaient organisés ainsi que sur un état des lieux archivistique de la conservation du corpus. Les entrées sont précisément détaillées, ce qui permet de rapidement prendre connaissance du contenu de chaque dossier. L’importante bibliographie qui accompagne le catalogue constitue enfin en elle-même un formidable outil.
Lorsqu’on a dans les mains un tel ouvrage, on en vient à rêver qu’un travail de cette ampleur soit effectué sur une multitude d’autres sujets, offrant un vaste panorama du potentiel archivistique d’une recherche. La parution du volume dirigé par Christian Grosse va, à ce titre, certainement éveiller la curiosité de nombreux chercheurs et chercheuses et les encourager à explorer des fonds qui n’attendent que de délivrer leurs richesses.
Zitierweise:
Johner, Aline: Rezension zu: Grosse, Christian; Staremberg, Nicole; Isoz,Amélie Isoz et al.: Les registres des consistoires des églises réformées de Suisse romande : un inventaire, Genève 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 223-224.